[RP] Waiting for a train, on a Piaf medley.

Messages : 13 Date d'inscription : 31/07/2010

[Juste après l'entrevue du petit salon]

[Bande sonore]

On était peu de temps avant midi. Le soleil d'Oc frappait fort et lourd sur les têtes, faisant poindre sueur et fatigue aux fronts des hommes qui trimaient en ce temps sur cette parcelle de terre bénie du Dieu Météorologie. Seuls deux petits cumulonimbus pâlichons et moutonnants paissaient, paresseux herbivores des cieux, arpentant l'éther du septentrion à l'australe, en perpendiculaire à la course du soleil qui attendrait bientôt son zénith. A Cauvisson, les activités commenceraient bientôt à se taire un temps, pour permettre à la jeune noblesse assemblée là de se sustenter et de profiter d'un coin d'ombre bien mérité. Il y avait des zestes de farniente dans l'air, avec un soupçon de sieste : l'atmosphère parfaite d'une après-midi paisible et tranquille.
Adrian sortit du donjon un peu précipitamment, dévalant l'escalier d'un pas vif, bien que non précipité ; signe qu'il tenait à conserver le contrôle de lui-même, et à ne pas fuir comme un vaurien. Absorbé dans ses pensées, il ne répondit pas aux trois serviteurs qui, l'un à l'étage, l'un dans l'escalier, et l'un dans la cour, lui passèrent le bon jour. Il percuta même une servante dans l'escalier, la deuxième sur la liste, qui après l'avoir salué, vacilla sur sa marche et laissa s'échapper la cruche d'eau qu'elle devait probablement porter aux gardes des remparts. La cruche produisit en se brisant un bruit de pot de fleur écrabouillé, qui contenta un temps Adrian. On n'aurait pas pu dire qu'il avait fait la chose exprès, mais il est des situations où parfois les conséquences de nos actes, même involontaires, nous ravissent. Et il était bel et bien dans ce cas. Il avait envie de briser des choses. Il avait envie de briser des hommes. Et c'est d'un pas vif qu'il s'éloigna, laissant sur son chemin la domestique prononcer un "Hé !" plaintif et assourdi. C'est ainsi que, la queue basse et la tête baissée, l'aile pendante, le faucon s'avança à grandes enjambées jusqu'au jardin de Cauvisson, où il alla proprement s'écraser sur un banc, un banc qui était au beau milieu des plantes.
En bon Comtois, Adrian aimait la nature, qui était partout dans ce pays de forêt et d'eau vive éloigné de tout, où le simple signe de la présence humaine se résumait aux villes fortes qui jalonnaient les routes, et aux quelques hameaux qui vivaient dans les clairières et les sous-bois. C'était un fort bon moyen pour se ressourcer et oublier, lorsque les soucis venaient ; et il n'avait retrouvé nulle part la luxuriance de la forêt comtoise. Chose qui lui avait manqué. C'était un lieu où la loi de l'animal prévalait, et où tous devaient la respecter ; une loi que le jeune Comte préférait à toutes, car elle avait l'avantage d'être élémentaire, simple, et concise : à partir du moment où l'on est assez fort et où l'on respecte tout, il ne peut y avoir nul ennui. Ainsi il se dirigeait naturellement dans les temps de confusion et de mal-être vers les lieux de nature et les animaux, pour se ressourcer un peu et se recentrer tant bien que mal.

Haletant un temps, il s'appliqua à réduire son souffle et calmer son trouble, gardant les yeux clos pour ne pas les laisser rougis d'humidité. Puis, ceci fait, il rouvrit les yeux pour détailler ce jardin, qui était lui aussi fort beau. Il avait cette pureté des jardins almohades d'une Espagne qu'il ne connaissait pas, une pureté qui les faisaient paraitre naturels au milieu de l'artificiel. Il avait cette symétrie qui montre la main de l'homme, mêlée avec habileté à l'impression générale d'une pousse assez anarchique des essences ; c'était donc un jardin qui était beau et bien entretenu. Se douterait-il que c'était là, voilà peu de temps, que s'assirent Jehanne et Miguael, devisant et conversant comme de parfaits jeunes promis(1) ? Probablement pas.
Il se sentait ridicule. Il se sentait ridicule, et inutile. Un sentiment renforcé par son impression qu'il ne tenait rien de sa vie, et que toutes ses tentatives successives pour se faire ne produisaient qu'erreurs et fatalités. Il ne savait plus en quelles mains reposer son destin. Et il ne savait plus non plus ce qu'il voulait, et devait faire.
Ce fut la première fois qu'il sacrifia à l'antique rituel paternel, et qu'il sortit l'un des nombreux cure-dents d'une vie emplie de morceaux de bois. Et que le fils de Bralic Fauconnier, involontairement, refit un acte effectué par brouettes par son daron : il se mit un cure-dent entre les lèvres.
Peut-être parce que le contact du bois et le machouillage lui permettaient de réfléchir. Peut-être parce que l'action de la bouche favorise la détente et l'égalité d'esprit. Et en le machouillant, il le remettait parfois entre ses doigts, où il faisait simplement tourner le morceau de bois. Et l'action de la bouche, et l'action des mains, achevaient de le calmer.

Il n'y avait pour l'heure qu'une question à laquelle il ne savait pas répondre.

Et maintenant, que devais-tu faire, Adrian ?
Dans quel train devais-tu monter pour continuer ta vie ? Quelle direction lui faire prendre ?

L'homme n'était-il fait que pour attendre des trains, et espérer choisir l'un des moins mauvais ?

Car l'on imagine que l'on attend un train ; que l'on sait que l'on doit le prendre ; mais on n'est jamais sûrs à cent pour cent d'arriver à destination ; ou même que cette destination fut la bonne ; bien souvent, on ne peut qu'attendre...

Attendre et espérer(2).

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(1) : Cf Premier rendez-vous..

(2) : Extrait d' "Inception", de Christopher Nolan, avec Leonardo di Caprio [Film, 148 min.].

Admin Messages : 120 Date d'inscription : 25/06/2010

[Ambiance musicale]

[Vous espérez que ce train vous emmènera dans la bonne direction, mais vous ne pouvez pas en être sur. Mais ce n'est pas important, car nous serons ensemble...]

L'entrevue entre la Vicomtesse de Cauvisson et le comte de Scye avait laissé un certain malaise chez Eilinn. En l'occurence il lui manquait des clés, ou tout autre élément permettant de comprendre les intentions du Comte. Car oui, il n'avait pas agi comme il aurait du. Une discussion entre nobles répondait le plus souvent à des critères précis, un déroulement routinier, fait de paroles agréables voire hypocrites entrecoupées de propos bien plus sérieux. Et la fuite du Comte du Salon Privé avait introduit un bug dans la Matrice. La réaction vive d'Adrian l'avait surprise, et elle s'interrogea longuement sur ce brusque revirement d'humeur.

Un haussement d'épaules fut presque sa seule réponse aux interrogations de Jehanne Elissa, du style "de toute façon les garçons c'est une race à part, et j'ai pas de dictionnaire sous la main", et s'était éclipsée en tentant de dissiper ce sentiment diffus de "mais qu'est ce qui se trame réellement ?".
Elle était finalement remontée dans sa chambre, pour enfiler une cotte turquoise. Après l'obscurité de la pièce secrète, elle aspirait à un peu de lumière, de chaleur, songeant encore à la discussion qui venait d'avoir lieu dans le salon alors qu'elle descendait les escaliers menant à l'entrée du Chateau.

Une fois dans les jardins, le soleil languedocien la fit cligner des yeux, et elle sentit avec bonheur le soleil sur sa peau et son visage. Elle entreprit de baguenauder sans but dans les jardins, humant l'air estival, écoutant les cigales, se vidant l'esprit de tout ce qui pouvait embrumer ses pensées.

Le pied s'interrompit soudain en plein élan, tandis qu'elle venait de reconnaitre le comte dans les jardins, qui méditait probablement sur les instants passés.

Quoi faire ? L'interrompre, et risquer de se faire rabrouer ? Ou bien tenter de s'éclipser discrètement ? La deuxième option semblait très tentante... En équilibre sur un pied (oui l'autre était toujours en l'air), elle tenta une manœuvre de demi-tour silencieux.
Mais il aurait fallu qu'elle ne soit pas prise d'une crampe fulgurante au mollet (celui qui touchait le sol), qui la fit vaciller, et chuter dans le massif de lavande juste devant elle.

Aaaaaaaaaaahh !

La tête pleine de fleurs bleues, Eilinn grommella, pour la discrétion ce n'était pas encore ça. Elle se releva, écrasant au passage quelques tiges, avant de tenter d'épousseter sa tenue, ainsi que ses cheveux. La jeune fille était devenue rouge pivoine, et tentait tant bien que mal de ne pas s'effondrer en larmes à l'idée d'avoir la honte de sa vie. De surcroit devant un des prétendants de Jehanne Elissa.
A défaut d'être présentable et et avoir l'allure noble et altière, au moins elle sentait bon. Elle s'excusa auprès du Comte que son hurlement doux et suave (hum hum) avait du alerter.

Pardon ! Je ne souhaitais pas vous déranger !

Vite, vite, filer de là !
Bon, marcher avec une crampe, ça donne quoi ?
AIEUH ! Ca fait mal ! Bon, tenter d'avoir l'air détachée et très indifférente à la situation, tout va bien, tout est sous contrôle. AIEUH !

Messages : 13 Date d'inscription : 31/07/2010

Il fut interrompu dans ses préoccupations spirituelles par le bruit de la chute de la jeune femme, et le cri qu'elle poussa. Se remettant sur ses pieds, il tendit l'oeil qu'il avait fort bon dans la direction en question, guettant l'importun qui osait le déranger.
Il commençait déjà à se préoccuper du bâton qu'il pourrait fort bien faire administre au gêneur lorsqu'il comprit qui était à terre, alors qu'Eilinn Melani se relevait et s'excusait. Il l'observa attentivement alors.

- " Pardon ! Je ne souhaitais pas vous déranger ! "

Elle paraissait aussi gênée que lui, et probablement bien davantage car elle devait se sentir honteuse. Il était fort probable qu'elle l'observait depuis un temps déjà ; et ne serait l'odeur de la lavande qui lui emplissait le nez jusqu'au bourgeons les plus hauts placés de ses sinus, il aurait pu rapprocher peut être son parfum de la senteur diffuse qui occupait la pièce dans laquelle il avait conversé avec Jehanne. Haussant les sourcils car interloqué par sa présence, il se rapprocha vivement d'elle, toujours rougeaude, et demanda poliment :

- " Vous... seriez-vous navrée(1) ? "

Et à la façon qu'elle avait de frotter son mollet alors qu'elle lui tournait le dos, il comprit qu'il n'y avait pas navrure, mais contracture.

La vie avait parfois des choses plaisantes et imprévues qu'elle adorait mettre sous le nez des hommes, aux moments où ils s'y attendaient le moins. Qui donc avait-pu, un jour, dire que la vie était "telle une boîte de chocolats" ? Il n'en était pas moins que c'était une belle réalité, qui se confirmait encore ; car comment le jeune homme aurait-il pu deviner qu'il se retrouverait face à la fille de l'une des amies de sa mère ?

Et elle était aussi l'amie de Jehanne. Il devait donc gagner sa confiance, pour gagner Jehanne. Et alors qu'elle lui répondait une excuse dont il n'avait strictement rien à cirer, il irait frapper là où la douleur entre eux devait être vive, et là où il savait qu'en appuyant, ils pourraient se rapprocher.

- " Je... Le bonsoir. "

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(1) : Blessée.

Admin Messages : 120 Date d'inscription : 25/06/2010

[Hey you pale and sickly child]

Par Dieu, que la situation était embarrassante. Voilà qu'elle se retrouvait face à celui qu'elle ne voulait pas rencontrer, sans avoir le contrôle de la situation, se frottant le mollet. Que pouvait-il arriver de pire ? Oh, on pouvait chercher, mais en cet instant Eilinn était convaincue que les quatre cavaliers de l'Apocalypse s'étaient réunis pour lui faire un tour à leur façon. Cela aurait été le rêve, qu'il passe à Cauvisson et s'en aille sitôt ses diverses entrevues terminées, sans croiser le chemin de la jeune fille.

Non, non ! tout va bien ! Juste une crampe...

Eilinn retira encore de ses cheveux un brin de lavande récalcitrant, se demandant comment se sortir de cette situation. Si Adrian avait voulu être seul, il lui aurait surement tourné le dos pour signifier son souhait d'être tranquille, mais il restait planté en face d'elle, lui disant bonjour. Elle n'allait pas s'excuser à nouveau, et partir maintenant alors qu'il semblait vouloir parler avec elle serait mal interprété.
Elle eut un sourire contrit sur le visage, elle n'avait pas d'autre choix que de jouer les parfaites hôtesses.

Le bonsoir.

Trouver un truc à dire, trouver un truc à dire...

Ainsi des affaires vous amènent à Cauvisson ?

Sur l'instant elle se morigéna, probablement qu'il aurait fallu lui demander si il allait bien, "le temps est beau n'est ce pas !" Enfin, trop tard... Bien entendu Eilinn savait parfaitement de quelles affaires il s'agissait, mais il fallait bien faire croire qu'elle n'était que la cruche de dame de compagnie qui manifestait une certaine méfiance vis à vis du Comte. D'ailleurs elle ignorait encore que cela pourrait peut-être lui donner un avantage dans la conversation.
Le mollet récalcitrant semblait enfin se montrer coopératif, et elle put enfin reposer le pied par terre sans devoir sautiller. Encore un peu et elle serait présentable, si elle arrivait à faire disparaitre cette teinte carmin sur ses joues.

Messages : 13 Date d'inscription : 31/07/2010

Il la regarde, et observe, de son habituel regard scrutateur d'obsidienne qui ne lâche rien.
Il n'appréciait pas particulièrement Eilinn. Voilà, ça, c'était dit. Peut-être parce que sa méfiance vis à vis de lui se ressentait sur ses traits et ses attitudes. Peut être parce que, automatiquement, on se fermait face à un visage désapprobateur. Et peut-être aussi s'en fichait-il un peu, car elle n'avait pas de réelle importance pour lui. Il l'avait rapidement classée dans la catégorie des "rien à carrer", avant que de se raviser et de se dire que, mine de rien, elle pourrait peut être lui être un peu utile.

Switch on : "Utile".

- " Si fait. "

Ce qui fut toute sa simple réponse à sa question sur ses affaires à Cauvisson, alors qu'il ignorait qu'elle fut au courant de quoi que ce soit. Car elle n'avait pas à être mise au courant de tout, tout simplement. Et ensuite parce que la conversation l'embarrassait un peu aussi ; car essayer de se mettre dans la poche quelqu'un dont on n'a au préalable rien à faire n'a rien d'aisé. Mais il avait néanmoins un avantage : il savait que dire, lui. Alors il observe Eilinn attentivement, et ajoute :

- " La fortune est bien faite. C'est grand joy que de vous encontrer à nouveau. Malgré les circonstances... "

Et il lui sourit simplement, d'un sourire pacifique, un peu sur un air de "et si on faisait un peu la paix, deux minutes ?". Et, songeant aux circonstances, il se rapprocha du banc de pierre. Se rasseyant, il montra son côté à la jeune femme, lui disant :

- " Pour votre mollet... "

Et il regarda simplement alentour, ne voulant pas laisser le poids de son regard troubler outre mesure la jeune femme. Et alors qu'elle s'asseyait, il lâcha son entame.
Comme d'habitude chez Adrian, elle fut inattendue et vive ; de celles qui frappent là où l'on s'y attend le moins, et qui font mouche le plus vite.

- " J'ai... Appris pour votre mère. Je suis... Désolé. "

Façon un peu subtile d'entamer en lui disant : " Je sais que tu ne peux pas me blairer, mais nos mères étaient amies, et je voudrais être le tien ; si on faisait pareil qu'elles ?". Ceci de façon assez rugueuse, bien entendu. Mais qui pouvait porter ses fruits.

Admin Messages : 120 Date d'inscription : 25/06/2010

Ben tiens, évident qu'il n'allait pas lui raconter la discussion avec la Goupil, et confirmait bien qu'elle était considérée comme quantité négligeable. Il sous-estimait de surcroit le lien qu'elle avait avec Jehanne Elissa. Le sourcil se fronça un instant sous le fruit de ces réflexions, ainsi il devait avoir une bien piètre opinion d'elle. L'intérêt soudain du Riddermark pour sa personne l'intriguait donc d'autant plus.
Elle ne crut donc pas un instant à la "grande joy" d'Adrian à la revoir, et rétorqua sur le même ton :

Le plaisir est partagé messire.

Il l'invita alors à s'asseoir près de lui. En cet instant elle n'avait plus vraiment le choix de ses actes, et claudiquant encore un peu, elle s'installa sur le banc près d'Adrian. S'asseoir lui fit du bien néanmoins, et elle put masser un peu son mollet à travers le tissu de sa cotte. Faire la paix ? Drôle d'idée ! Une phrase du testament de sa mère lui revint en mémoire concernant les Riddermark, et toute la mise en scène présente sentait bigrement l'amitié imposée par les actes des anciens. Vint alors la présentation des condoléances. Si cela la toucha, elle n'en montra rien. A vrai dire, cela ne la touchait plus.

Merci.

Elle aurait pu ajouter une phrase banale histoire d'appuyer sur l'éventuel sentiment de compassion qu'Adrian pouvait ressentir, mais elle s'en abstint. Elle ajouta néanmoins :

Et je suis désolée pour votre mère également, ma mère l'appréciait beaucoup d'après ce que je sais...

Top ambiance...

Messages : 13 Date d'inscription : 31/07/2010

Incroyable, comme les situations peuvent être... Top moumoute. Il aurait pu être sympa, entre ces deux personnes, de nouer relation pour pouvoir se lier autour de Jehanne.
Adrian voulait donc cette discussion particulièrement pour ça ; il ne lui venait même pas à l'esprit de demander une séparation à l'amiable entre Eilinn et Jehanne, et il savait qu'il devrait cohabiter avec elle un tant soit peu. Alors... Alors, on insiste. Et on frappe. Là où l'on s'y attend le moins. Mais sans méchanceté ; car Adrian ne souhaite pas être désagréable.

Lentement, il prend une profonde inspiration, alors que EIlinn présente ses condoléances à son tour. Le fait qu'elle parle de sa mère, et pas d'elle-même, ne le touche pas non plus. Trêve de salamalecs et d'hypocrisie. Et, il se tourne vers elle ; il la regarde, et de façon très directe, demande simplement :

- " Dites... Pourquoi vous ne m'aimez pas ? "

Oui. La question qui tue ; la question à deux sous. Celle que l'on ne pose jamais, dans une relation ; celle qui fache.

Lui, il la pose le plus naturellement du monde. Parce qu'il a besoin de le savoir, et de briser la glace.

Admin Messages : 120 Date d'inscription : 25/06/2010

Suivons le courant fuyant dans l'onde frémissante, d'une main nonchalante

Amoncellement de paroles creuses et dénuées d'empathie, rythmique ennuyeuse de mondanités vaines. Pourquoi se trouvait-elle ici, dans ce jardin, à avoir cette conversation qu'elle ne désirait pas ? Soudain il planta ses yeux gris dans les siens, lui posant cette question affreusement simple et complexe à la fois. Les azurs d'Eilinn, clairs et glacés, comme ceux des lacs du nord de l'Italie, ne cillèrent pas l'espace d'un instant.

Je ne sais pas.

Mais Eilinn savait parfaitement, ayant eu le temps pendant les longues semaines après leur rencontre à Paris d'analyser les sentiments ambivalents qu'elle avait pour le Comtois. Sentiments qui s'étaient trouvés à la fois chamboulés et affirmés par la scène s'étant déroulé dans le Salon.
Parce que la situation de Jehanne Elissa la ramenait à sa propre position, de demoiselle nubile en âge d'être mariée, et que cela l'effrayait bien trop pour qu'elle envisage pour elle, comme pour Jehanne Elissa, les conséquences de cet état. Elle allait lui servir un discours aussi creux que la conversation qui s'était déroulée jusqu'à présent, mais finalement changea d'idée. Le regard se détourna alors, tandis que la jeune fille reprenait la parole.

Enfin si...

Il voulait de la franchise, alors pourquoi pas... Quelle importance qu'il apprécie ou non ses paroles après tout ? Eilinn ne pouvait pas envisager Adrian autrement que comme un adversaire en cet instant, un rival, qui par bien des aspects allait lui ôter ce qu'elle avait de plus cher. Cela pouvait sembler stupide au premier abord, cette force à la fois innocente et terrifiante des sentiments d'Eilinn pour Jehanne... N'y voyez point de saphisme, ou d'ambiguité amoureuse, rien de tout cela ne pouvait traverser la tête de cette chère enfant. Jehanne était... un phare dans la tempête, le jour qui vient après la nuit, le soleil après la pluie. Quelque chose de nécessaire et d'inexorable pour la jeune Melani.

Parce que vous me volerez Jehanne...

Rien ne sera plus comme avant à cause de vous.

Il n'y aura plus l'insouciance des jours d'enfance... Il n'y aura plus que... l'âge adulte, les engagements lourds de sens, les responsabilités...

Elle ne savait pas comment formuler autrement les choses, même si cela faisait lourdement peser sur les épaules d'Adrian quelque chose dont au final, il n'était pas vraiment responsable. Mais il fallait bien un bouc-émissaire, et le comtois, et ce qu'il représentait aux yeux d'Eilinn, remplissait ce rôle à la perfection. Cruelle jeunesse...

Messages : 13 Date d'inscription : 31/07/2010

Soupir. Très très très profond soupir.

Un soupir qui paraitrait presque déplacer des montagnes, et remettre à plat des échiquiers garnis. C'est... Autant un constat qu'un soulagement.

- " ... Je comprends. "

Et c'était la vérité. Car comment ne pas comprendre qu'elle pouvait mal prendre la fin d'une époque, la fin d'une insouciance, la fin d'une vie de jeune fille innocente ? Mais... La vie était cruelle et injuste ; et il n'était pour rien dans les bascules du temps et de la vie, et dans les changements des hommes et des temps. Il n'avait rien d'un Nostradamus ; il n'avait rien d'un sorcier. Alors... Alors Adrian fit ce qu'il savait le moins faire : il tenta de trouver ses mots. Et fut, comme à son habitude... Maladroit.

- " Vous êtes une idiote. " C'était sa réalité. Et c'était aussi vrai : car comment considérer autrement une petite fille qui vous haïssait uniquement parce que vous existiez ? " Je ne suis pas un voleur. " Enonciation là-aussi d'un constat ; car avait-il simplement besoin de vouloir prendre quoi que ce soit sans la volonté générale ?
Et c'était une énonciation grave et résolue ; de celles qui sont sûres de leur contenu. L'amour était étrange ; car il pouvait faire voler au loin les amis aimés tantôt, pour leur substituer une seule personne autour de laquelle votre vie se construirait peu à peu. Le mariage, c'était la même chose. Au final, les sentiments et l'amour étaient une chose égoiste. Et c'était peut-être là la cause de nombre de maux. On se construisait autour de piliers sûrs et chéris, sur lesquels on s'appuyait pour construire la demeure de nos êtres ; on espérait qu'il en soit de même pour l'Autre ; et ainsi, l'humanité grandissait comme une vaste ville où les maisons mitoyennes se seraient appuyées les unes sur les autres ; une ville comme Pise ; penchée par ses sentiments.
Et parfois un mur cède ; ou les maisons bougent, et respirent ; et alors les moyens de la physique s'ajoutent aux lois des émotions, et tout une demeure ne s'accolera plus qu'à celle d'un Autre que vous ; et votre mur mitoyen à celle-ci redeviendra nu ; montrant clairement, s'il en était besoin... L'absence.

- " C'est la vie... " Début de généralité idiote ? Non. Pas chez Adrian.
- " La vie prend, concasse, disloque, sépare et réunit. Elle prend les êtres chers, elle éloigne ceux qui restent, et... On a à vivre avec. "

Et vogue la galère.

- " Pour vous dire... Moi non plus, je n'aurais pas voulu grandir. Mais... Je n'ai pas trop eu le choix. "

Souvenir fugace d'une chevauchée silencieuse, dans la nuit glacée de octobre. Souvenir d'un corps lové contre le sien, respirant paisiblement. Souvenir d'une silhouette qui les regardait partir ; silhouette aimée qui ne se souvenait plus qu'elle aussi, un jour, avait aimé. C'était le souvenir d'une peur panique, dans la nuit noire et obscure : celle de ne plus avoir ni maison ; ni famille ; ni parents ; ni... Aucun monde auquel se raccrocher. C'était le souvenir d'une chute libre.

- " Je suis ... Désolé. "

Admin Messages : 120 Date d'inscription : 25/06/2010

Idiote... Idiote... ce n'était pas vraiment la première fois qu'on lui disait ces mots, mais la jeune Melani s'en accommodait. Son beau-père, sa marraine, le Roy d'Armes, au final ils lui reprochaient bien tous la même chose, du haut de leur adulte sagesse.
Au moins, à agir comme une idiote pouvait-elle encore faire perdurer un peu les chimères de l'enfance, les souhaits irréalisables mais que l'on tentait d'exaucer, exiger des réponses d'un grand officier du Roy, s'introduire dans les cuisines du Louvre, refuser de perdre sa meilleure amie.

- " Pour vous dire... Moi non plus, je n'aurais pas voulu grandir. Mais... Je n'ai pas trop eu le choix. "

Ces paroles-là touchèrent Eilinn en plein coeur, alors qu'elle aurait tellement souhaité rester de marbre face au Fauconnier, parce que cela la ramenait à la mort de sa mère, au moment ou elle avait du assumer ce nom laissé en héritage. Au moment ou elle s'était retrouvée face aux malles de souvenirs et de vêtements maternels.
Mais elle tentait encore de se réfugier dans sa candeur innocente pour refuser l'inéluctable. Même si, déjà au fur et à mesure des semaines les chimères se délitaient pour laisser place à la cruelle nature humaine.

Pourquoi les adultes oubliaient-ils si vite qu'ils avaient été des enfants ?

- " Je suis ... Désolé. "

Il eut un silence, après les paroles d'Adrian.

- Moi aussi.

Toute l'ambiguité de ces deux mots résidaient dans ce qu'ils désignaient. Le comportement d'Eilinn ? La situation actuelle ? La fin prématurée de l'enfance du Faucon ? Elle ne voulut pas préciser sa pensée, il y avait tellement de choses pour lesquelles on pouvait être désolé, finalement...

Ce n'était pas un traité de paix pour l'instant, mais au moins l'établissement d'un armistice.