[RP] Un galop au Crépuscule - Acte II

Cela fait si longtemps qu’elle ne l’a pas monté, et chaque jour, elle se morigène de ne pas trouver le temps de le faire, mais le nez dans les caisses de l’Anjou, les mains croulant sous les vélins et invitations de la Cour à écrire encore comment le pourrait-elle ? Et là, les mains non gantées pour une fois tenant les rênes du percheron imposant en frémissent d’avance sur le chanvre de l’attirail de l’animal.

-« Tesoro mio, nous allons nous promener.. Sois sage.. »

Les oreilles couchées à chaque coup de tonnerre, le poitrail qui frémit un peu plus à chaque coup, sont loin d’être les signes d’une sagesse espérée et pourtant, le sourire est large quand elle rejoint la garde de Cauvisson avec son homme de main tenant la bride d’un coursier alezan. Sans un mot, celui-ci tend les deux mains en coupe à la jeune femme qui se hisse à califourchon sur le dos de l’étalon. Rênes tenues, animal plus ou moins contenu même si renâclant, les noisettes surveillent du coin de l’œil que l’Araignée enfourche bien sa monture, et enfin, Aléanore de se tourner vers les gardes avec un sourire amusé.

-« Mais qu’attendons nous ? »

On vous a dit qu’elle était bizarre l’Etincelle du haut de son mètre cinquante à s’obstiner à vouloir tuer tout ce qui bouge ?

Son père avait séjourné quelques années en Hollande. Déjà, il avait préféré les délaisser, sa mère et elle, afin de s'échapper de ce Royaume de France qu'il ne reconnaissait plus, selon ses propres mots. Elle venait tout juste de naître. Et elle devait avoir quatre ans, quand il avait décidé de reparaître. A ce moment là, il lui avait offert un splendide chaton qu'il avait lui-même pris soin de nommer Frison - rapport à la langue du peuple qu'il venait de quitter. De ses voyages, il avait ramené draperies et tapisseries à foison, pour sa mère, mais également quelques chevaux qu'il avait ensuite laissés à l'écurie. Clémence en avait adopté un par la suite, de la race du Frison - notez l'originalité -, jeune et vigoureux, rapide et docile, d'un noir aussi sombre qu'une nuit d'hiver. Elle avait appris la monte grâce à lui, elle avait aimé ça, mais comme Frison - le chat - était mort, son goût pour l'équitation avait également disparu. Tout ce qu'elle tenait de son père disparaissait peu à peu et étrangement, elle ne s'en alarmait même pas.

Bref, elle n'avait donc pas jugé utile de l'amener jusqu'ici. Mais c'est en découvrant les montures que l'on pouvait lui proposer à Cauvisson qu'elle sentit pour la première fois depuis bien longtemps une pointe de regret lui étreindre la gorge. Ils n'avaient rien, à ses yeux, de l'allure que pouvait posséder le Frison qui l'attendait sans doute tristement à l'Épine. Elle était d'ailleurs toujours réticente à l'idée de devoir chevaucher une monture qu'elle ne connaissait pas. Pourtant, on ne chassait pas à pieds ce soir et il était plus que temps pour elle de rejoindre les autres.

Elle rajusta les liens de son manteau de pluie et prit appui sur le palefrenier qui lui offrait son secours. Elle eut moins de mal qu'elle ne l'aurait pensé à trouver son assise : les automatismes reviendraient rapidement, elle n'en doutait pas. Et à l'heure actuelle, c'était davantage la nostalgie que l'appréhension qui la tenait en émois.

Arrivant à proximité de ceux qui patientaient déjà, elle surprit la remarque de Jehannette et celle-ci ne put que la toucher.

Ne vous en faites pas,lança-t-elle dans sa direction, Eilinn sera bien entourée. Bien maigre réconfort, sans doute, que cette phrase légère et anodine. Mais faute de promesses, on pouvait au moins fournir quelques paroles rassurantes - un minimum.

Et de venir arrêter son cheval auprès d'Aléanore et de la jeune Meilani, dont l'écarlate de la robe la fit sourire. Bien malgré elle, elle lui adressa un regard appréciateur teinté d'une certaine - tendresse ? - douceur. Bien qu'elle ne soit pas très habile avec les plus jeunes, elle devait admettre que certains ne lui étaient pas indifférents.

Et bien Aléanore... Il semblerait que nous voilà à nouveau réunies ! Pour le meilleur et pour le pire, pourrais-je dire, si j'étais sûre que nous avions déjà vécu le pire ensemble afin de prétendre que le meilleur viendra ce soir ! Elle la considéra d'une façon narquoise, bien décidée à cacher cette sourde angoisse qui lui révulsait la poitrine. Mon Dieu, faites que tout se passe en effet pour le mieux, s'il vous plaît ! Excellez-vous aussi bien dans l'art de la monte que dans celui de la désinvolture ? Ou de l'arrogance, de l'effronterie, du culot, de la condescendance... mais désinvolture, ça fait tout de même plus classe et ça pourrait presque passer pour un compliment, aux yeux de l'Étincelle.

« Be Glorious, Be Nore »

Patiemment la main vient flatter l’encolure de l’étalon, attendant que d’autres les rejoignent et qu’elle n’est pas sa surprise de voir que contrairement à toutes celles qui s’étaient annoncées, celle qui arrive, n’est autre que Eilinn. Et la surprise ne s’arrête pas là, si la tenue de monte de l’Etincelle est verte d’un vert impérial, la robe de la Melani qu’on connaît pour ses goûts délicats – si on exclue la robe orange carotte – est rouge, alors les noisettes s’écarquillent devant l’originalité du moment.

-« Vous êtes magnifique ma mignonne. »

Oui, magnifique, car pour la Dame aux Framboises qui arbore avec fierté les gueules des armes de Concèze, comment juger autrement ce rouge flamboyant ? Mais déjà une autre arrivée, celle d’une des bretonnes, bretonne que le palefrenier de Cauvisson aide à monter sur un des chevaux du domaine, alors seulement Aléanore réagit, le regard se porte sur le palefroi d’Eilinn, celui de Margot, ou l’art de se démarquer.. Parce qu’elle a voulu un animal compensant sa petite taille – on ne répètera jamais assez qu’Aléanore mesure 1m50 et a un corps de gamine de 12 piges – elle se retrouve, seule membre de la gente féminine hissée sur un cheval de guerre, alors un sourire amusé nait sur les lèvres de l’Etincelle, tant pis.. Et de s’intéresser plus encore à la petite bretonne à la mine peu rassurée, un signe de tête à l’Araignée pour qu’il s’approche d’elle.

-« Tu resteras discrètement à côté d’elle ou non loin, elle n’a pas l’air très à l’aise, il ne faudrait pas qu’elle tombe. »

Surtout pas au milieu de la harde, et c’est l’arrivée de Clémence qui évite à Aléanore d’imaginer ce que donnerait la jolie blonde au milieu d’une harde de sangliers rendus fous par les hommes et leurs armes. Un sourire amusé à l’Epine, ah son Epine au pied, souvent présente, douloureuse pour certains souvenirs, certaines piques et pourtant, pourtant, on s’y habitue. Clémence, je t’aime, moi non plus.

-« Pour le meilleur et pour le pire.. Si je n’avais d’autres projets pour l’avenir, je pense qu’il faudrait nous marier ! » Et un éclat de rire, un ! Epouser une femme et puis quoi encore ? Deux hommes ensemble dans le même lit, quelle horreur, c’est d’un risible. « Cela ne peut être que le meilleur, rendez vous compte, une chasse au sanglier, même s’il est bien dommage qu’aucun de ces jeunes hommes ou presque ne veuillent venir nous accompagner, mais il est vrai qu’ils sont si jeunes tous pour la plupart. » Aussi jeunes qu’Eilinn, Aléanore, et son Epine de se manifester avec un sourire narquois, auquel Aléanore répond par un sourire.. désinvolte ? Soyons fous. « Il ne s’agit pas d’être doué pour monter, Clémence, il faut avoir l’animal qui convient, et à ce jeu, Bélial pourrait en imposer à bien des montures. »

Un regard d’ailleurs sur la monture de Clémence, mordillement des lèvres avant de continuer plus avant.

-« Je ne sais ce que valent les chevaux de notre hôtesse, mais j’espère que vous ferez attention tout de même, les palefrois sont d’un naturel docile mais plus portés sur la promenade. Tenez bien les rênes durant la chasse, Clémence. »

Il y a de l’inquiétude dans la voix de la désinvolte Aléanore ? Un peu, quelle folie finalement que de partir à cette chasse entre jeunes filles comme on partirait en promenade sur les côteaux du Layon.

Tagada Tagada. Hihi ! Ca secoue !
Me v'là coincée entre la tête du cheval et la poitrine de Blanche. Je risque pas de tomber ! Au moindre mouvement un peu brusque, les bras princiers se referment sur moi. C'est comme avec Père, en fait. Mais cette monture là est quand même mieux que celle du Duc ; moins grosse, donc j'écarte moins les jambes. Plus confortable, quoi... Malgré l'inmanquable mal de fesses persiste. C'est inévitable ?
Je m'accroche comme je peux à la selle, et regarde autour de moi. C'est moche ! Enfin, à cause du temps qu'il fait. A Vannes, nous, on galopait quand qu'il faisait beau. C'est quand même moins frisquet. Mais en même temps, ce froid vivifiant qui gifle les joues nous met dans l'ambiance. C'est trop l'aventure ! On part dans une contrée inconnue -en France, en plus !-, avec des gens inconnus -Français, eux aussi-, à la chasse aux sangliglis -que je connais pas non plus-. Et sans Père et Mère. C'est fou !

Tagada Tagada. On aperçoit des silhouettes là-bas ; vi, c'est eux ! Ma main droite lâche la selle pour pointer les madames, près du bosquet ; au même instant une secousse. Aaaaaaaaaah ! Mes fesses font un bond plus grand que d'ordinaire ; en même temps, les bras protecteurs me retiennent, tandis que je cramponne la crinière de Cheval. Il se passe un instant, le temps de s'en remettre. Puis : Pfiou ! C'était moins une. J'affiche un large sourire. C'était trop rigolo !

Coucou, c'est nooooous !

Et, malmenée comme eux qui crient près d'elle, la blonde hermine voudrait s'arrêter, et poser à ses oreilles une barrière de mains, infranchissable.
Il n'y a rien qui puisse la défendre de ces hurlements angoissés ; ni Margot qui a peur, près d'elle, ni Maeve qui entre ses bras, ne dit plus mot. Même l'Alterac s'est mise à appeler, à s'adresser à un autre que Blanche ne voit pas. Et contre ce vent qui cache tout, qui laboure sa peau de rafales denses et piquantes, elle ouvre à peine les yeux, guidée dans ce qui se passe par les échos des voix tout près d'elle.

Pitié, s'essaie t'elle à dire, qu'on rentre avant qu'Il ne vienne !

Mais rien ne traverse les lèvres closes. Aucun bruit, aucun son, si ce n'est la mort lente d'un murmure innommable. Un faible cri sans sens et force, qui s'éternise au bout des lèvres pour s'enterrer parmi les mèches rousses. Maeve qu'elle tient encore plus fort, pour se pencher vers elle, la tenir encore, la serrer pour ne plus la lâcher, et lui murmurer quelque réconfort.
Que les autres sont fols, qu'il ne faut pas avoir peur, que le Très-Haut les guidera, qu'il faut prier.
Ma petite chérie... ajoute t'elle, à mi chemin entre le murmure et le chant. Comme si Maeve était sa cadette, et qu'elle se tenait en toutes autres circonstances, à son chevet avant le coucher.
Comme si la Dénéré était devenue sienne, sa fille, pour l'ultime fois. N'aie crainte ! Et le tu remplace le vous, il n'y a plus de frontières, les princesses sont sœurs et mères, et enfantes et adultes, et tout à la fois, elles sont le sud, le nord, et l'est de l'autre, leur univers à toutes les deux, univers qui s'est resserré l'espace d'un instant interminable sur un cocon de vent, de sable et de peur, un cocon qui danse au sommet du cheval terrifié.
La chrysalide s'ouvre, quand les bourrasques retombent et que les angoisses se dissipent.
Entre ses bras meurtris, une évidence : à la chasse, il faudra préférer les soirées broderie au coin du feu.

On avance. On suit. Et, sans la voir venir, une ambiance de conte terrifiant s'installe ; je ne la remarque qu'une fois qu'elle est bien ancrée. Oui, tout y est : le tonnerre, le vent, les cris. Le sable, en plus. J'ouvre de grands yeux hébétés. Je ne distingue plus rien ; disparu, le paysage, disparus, les cavaliers alentours. Que du sable, que du vent. Je plisse les yeux, et essaye de distinguer quelque chose dans ce mur jaunâtre. Mais rien. Que des volutes ; pas de forme précise, pas d'ombre... Le fond d'aboiements me fait imaginer des chiens dans ces étranges arabesques, mais ce n'est que le fruit de mon imagination. Je le sais bien.
Heureusement, cette présence, cette chaleur tout contre moi est mon ancre à la réalité, mon guili qui me rappelle où je suis vraiment. Je suis protégée, je suis accompagnée ; "Ô vent, joue autant qu'tu veux, moi j'm'en fous ! Tu peux rien contre moi, je suis inviciiiiiiible ! (Même si t'es un peu impressionant, quand même)" ; telles sont mes pensées.
Les bras se resserrent, je sens Blanche toute proche de moi. Je devine son murmure plus que je ne l'entends ; peu importe ses mots, en fait. Elle est là, elle doit me dire que tout va bien et qu'elle veille sur nous. Aucun problème, donc. Un dernier regard apeuré sur notre environnement, puis... Blouf. Ca se calme.

Le vent se tait, ne devient plus qu'un murmure, et emporte le sable avec lui. Les aboiements disparaissent avec eux. Mes oreilles sont soudainement apaisées ; seul le tonnerre poursuit son grondement, indifférent à ce qui se déroule ici. Mais en comparaison avec le touin-touin d'avant, c'est pas grand-chose, en fait.