Une migration d'artésienne pure souche dans le Sud c'est un peu comme si soudainement les oiseaux exotiques décidaient de nicher sur la banquise, ceux qui n'en crèvent pas de suite ont besoin d'un temps d'adaptation. Et à l'aide de cette comparaison douteuse en guise d'introduction, l'on peut maintenant sans gêne aucune comparer la brune Agnès de Saint Just à un bel oiseau exotique même si lorsque l'on s'approche et la détaille, il semblerait qu'elle ait perdu quelques plumes.
Tout ça pour dire que si Agnès était enchantée de sortir enfin de sa retraite forcée angoumoise, elle n'en souffrait pas moins de la chaleur tandis que son coche tortillait au travers des Cévennes pour espérer atteindre Cauvisson. Aussi loin que portaient ses souvenirs, elle n'arrivait à se rappeler pourquoi elle avait accepté de chaperonner cette ribambelle de gosses de riches. Toutefois, lorsque l'on creusait un peu sous la couche de mauvaise foi, l'on trouvait une explication tout à fait sensée : Après l'excellent Jurançon, le vignoble bordelais et les crûs périgourdins, continuer sa route des vins en explorant à présent le versant sud-est du royaume de France.
Et il fallait bien l'avouer, c'est cette simple idée qui lui intimait de ne pas donner ordre de faire demi-tour séance tenante.
Bon gré mal gré, l'on finit par arriver en vue des terres de Cauvisson et la Saint Just se faisait une joie de sortir de l'inconfort de son moyen de locomotion. Posant enfin le pied sur le plancher des vaches - qui dans le coin avait tout le mérite de faire pousser les vignes à perte de vue, ce qui ne manquait pas de trouver grâce aux yeux de notre artésienne en proie à un gout immodéré pour le sang de la terre - elle laissa son valet l'annoncer au mignon qui servait de garde.
Pensée ulcérée à l'idée que l'on puisse confier la sécurité d'un domaine à un gamin qui aurait moins détonné en page vêtu de collants de soie dans un salon qu'au poste de garde en cotte de maille qu'il semblait peiner à porter sous l'accablante chaleur - tsssss - tandis que l'on annonçait
Agnès Adélaïde de saint Just et de Dublith, Comtesse du Lavedan, Vicomtesse de Bapaume, Baronne de desvres, Dame de Seuri et d'Herlies.
Nan vraiment, elle avait tout de l'oiseau rare. Un beau plumage, un éloquent ramage quoique teinté d'un accent picard à couper au couteau - ça faisait exotique, l'horreur d'être mise en cage et cet air un peu hautain de ce qui se savait rare et donc précieux.
Sujet: Un oiseau de plus dans la volière 
